Posté: 25 mai, 2015
Quels mots utilisez-vous quand on vous demande de vous décrire? Utilisez-vous les mêmes mots avec votre famille ? Au travail ? En voyage ?
J’ai découvert que je n’utilise pas les mêmes mots pour me décrire selon le contexte où je me trouve. Lorsque nous vivions à Toronto, les deux mots que j’utilisais le plus souvent étaient ‘chrétienne’ et ‘femme’. Ces deux aspects faisaient le plus de différence dans ma vie. Ainsi, imaginez ma surprise lorsque nous avons déménagé en Afrique australe : ces mots n’avaient plus beaucoup d’importance ! Tous ceux avec qui nous étions en contact se définissaient comme chrétiens, c’était donc un acquis ; et il était beaucoup plus important que je sois une mère plutôt qu’une femme. En outre, en Afrique australe, ce qui était vraiment important, c’était que j’étais blanche – un aspect de mon identité qui allait de soi au Canada.
Une femme chrétienne : l’essentiel au Canada. Une mère blanche : c’est l’essentiel au Lesotho. La perception de mon identité avait changé alors que je n’avais pas changé.
Ce changement illustre mon premier point : la culture compte parce qu’elle définit qui nous sommes.
Mon deuxième point est que la langue compte. Je parle un peu plusieurs langues, et je suis fascinée par les mots qui existent dans une langue mais qui n’ont pas de traduction exacte dans une autre langue. En sesotho, j’ai appris qu’il y a un mot pour désigner une partie du corps qui guérit mal après une fracture ou une blessure ; nous n’en avons pas en anglais. En français et en espagnol, il y a ce joli mot ‘animateur’, ‘animador’ : une personne responsable qui joue un rôle de facilitateur dans un groupe, un concept qui n’existe pas en anglais. Et en allemand, il y a ‘Gemeinschaft’, un mot que l’on traduit par ‘fraternité’ ou ‘communauté’, bien que ces traductions ne parviennent pas à saisir la profondeur du mot en allemand. Ces exemples soulignent le fait que la langue compte, parce qu’elle fournit les concepts importants de notre culture.
Il y a de grandes différences entre nos langues et nos cultures dans le monde, et elles vont beaucoup plus loin que nous ne le pensons. La culture, façonnée par la langue, impacte notre vision du monde, notre perception de nous-mêmes et notre identité. C’est une difficulté particulière pour les chrétiens, dont les convictions et les pratiques sont façonnées par la culture et la langue, alors que notre foi transcende ces catégories.
Exemples bibliques de la différence
Il y a dans la Bible des images et des histoires pour expliquer et comprendre nos différences linguistiques et culturelles, et pour nous montrer comment ces différences peuvent faire partie du plan de Dieu pour la construction de l’Église.
Le premier livre de la Bible, la Genèse, raconte l’histoire de la Tour de Babel. Elle propose deux explications pour l’existence de différents groupes linguistiques. L’une est que l’unité basée sur la similitude conduit à l’orgueil, et l’autre est qu’elle est une réaction de peur. Dans Gn 11/4-6, nous lisons que le peuple voulait être renommé et qu’il avait peur d’être dispersé. Ces deux réactions sont enracinées dans la dépendance de soi plutôt que dans celle de Dieu : « Regardez, ils forment un seul peuple et ils ont tous une même langue… et ce n’est que le début ! ».
Le théologien Walter Brueggeman dit que c’est l’histoire de personnes qui voulaient être importants en raison de leurs similitudes : même langue, même nourriture, mêmes vêtements, même culture – on peut beaucoup accomplir dans une culture homogène. Il suggère que Dieu les disperse pour leur montrer mieux. L’unité désirée par Dieu pour la race humaine est constituée de personnes liées par une foi et des valeurs communes, et non par une similitude de langue et de culture. Il pense que les nombreuses langues et la dispersion ne sont pas une punition, mais donnent en fait aux peuples l’occasion d’aller vers un potentiel beaucoup plus grand pour toute la terre. Dieu a donné aux habitants de la tour de Babel l’occasion de découvrir la différence afin d’apprendre à dépendre de Dieu et d’être réunis par la foi plutôt que par la culture. Il faut tout un village mondial pour être ce que Dieu nous appelle à être.
Une autre image biblique de la différence se trouve à l’autre bout de la Bible, dans le dernier livre, l’Apocalypse. Dans Ap 7/ 9-14, nous lisons qu’un nombre incalculable de personnes, de toutes nations, tribus et langues, chantent et louent Dieu toutes ensemble. C’est l’image opposée de la Tour de Babel. C’est un petit aperçu du ciel !
Cette image se trouve dans le chapitre de l’ouverture des sept sceaux : sept événements aux terribles conséquences. Elle se situe précisément entre l’ouverture du sixième et du septième sceau, comme une pause dans l’histoire. C’est l’image du peuple de Dieu, de toutes cultures et de toutes langues, qui adore Dieu, quelles que soient ses épreuves, ses persécutions et ses tribulations.
Au chapitre 6, verset 17, une question est posée : « Car il est venu le grand jour de la colère, et qui peut subsister ? » La réponse est dans cette image : c’est le peuple multiculturel de Dieu qui le loue, qui est capable de tenir bon lors des persécutions et des tribulations. Il faut tout un village mondial pour être le peuple que Dieu nous appelle à être et pour résister aux persécutions.
Devenir le peuple multiculturel de Dieu
Pour le peuple juif d’Israël qui pensait être le seul peuple élu de Dieu, cette image d’un peuple de Dieu multiculturel implique un changement radical de pensée. Dans Éphésiens 3, Paul dit très clairement que dans le passé, les non-juifs, qui n’étaient pas seulement des étrangers, mais aussi des incirconcis, et donc exclus d’Israël, ne faisaient pas partie du peuple de Dieu. Mais maintenant, conclut-il, ils en font intégralement partie par le Christ. C’était un immense changement de direction dans la pensée des chrétiens juifs. Seulement alors pouvaient-ils commencer à comprendre qu’il pourrait y avoir différentes manières d’adorer Dieu, au-delà de leurs propres traditions juives, en particulier concernant les pratiques qui leur avaient donné une identité, comme les lois sur la circoncision et l’alimentation.
Pour ceux d’entre nous qui pensent que notre manière de concevoir et de louer Dieu est la bonne, la meilleure ou même la seule, l’image du peuple multiculturel de Dieu dans Ap 7 présente aussi un grand défi. Il faut tout un village mondial pour être le peuple que Dieu nous appelle à être.
Nous avons tous une culture, et nous concevons et louons Dieu au travers de cette culture. Ces conceptions et ces louanges sont un sujet de joie et de reconnaissance, où que nous vivions. Mais notre façon de faire n’est pas la seule ! Notre manière habituelle de faire nous est familière, et nos responsables peuvent souvent même donner des explications bibliques détaillées pour les justifier. Comme le peuple de la tour de Babel, nous avons trop souvent peur que les différences créent la discorde et nous dispersent. Trop souvent aussi, nous dépendons de notre langue, de notre culture et de notre tradition pour nous unir en dépit de nos différences, plutôt que de dépendre de Dieu. Nous devons devenir comme ce peuple de l’Apocalypse, un groupe multiculturel louant Dieu, capable de résister à toutes les persécutions. Il faut tout un village mondial pour être le peuple que Dieu nous appelle à être.
Un coin de ciel sur la terre
Ayant étudié la sociologie, je sais que chaque groupe travaille beaucoup pour créer sa propre identité et sa propre façon de faire les choses, et que ces modes d’appartenance sont importants. Nous voulons tous appartenir à un groupe ; c’est la nature humaine et c’est une bonne chose ! Cependant, les textes de la Genèse, de l’Apocalypse et de l’épitre aux Éphésiens nous aident à comprendre que Dieu désire que nous appartenions d’abord à un groupe de disciples de Jésus, plutôt qu’à un groupe linguistique, culturel ou national. Nous faisons partie d’un peuple dont la vision du monde est façonnée par Dieu, par la Bible, et par notre communauté spirituelle. Être chrétien est notre identité première. Nous faisons partie d’une église locale et d’une Église mondiale. Cette identité et cette appartenance devraient influencer nos vies en premier.
Nos paroisses sont des endroits où nous nous connaissons, où nous nous sentons chez nous et où nous avons les mêmes conceptions du discipulat. L’appartenance à une assemblée locale où l’on aime chanter les mêmes chants et prier de la même manière est une bonne chose. Beaucoup d’entre elles sont aussi rattachés à des unions d’églises – un autre cadre dans lequel nous retrouvons les mêmes coutumes et traditions. Et pourtant, même au sein des paroisses et des unions d’églises, il y a toujours juste assez de différences pour avoir des tensions et des conflits. Ces différences sont amplifiées quand un grand nombre d’assemblées locales et d’unions d’églises se retrouvent dans un pays, puis dans d’autres cultures avec d’autres langues.
Faire partie de la CMM est encore différent. La CMM est notre communauté (d’églises) anabaptiste mondiale, où nous nous retrouvons parce que nous partageons les mêmes convictions concernant Dieu, Jésus, le Saint-Esprit et l’Église. C’est un lieu où entrapercevoir le paradis sur terre – un aperçu de ce qu’adorer Dieu avec une multitude de personnes de différents pays, cultures et langues peut être. On peut avoir ainsi une idée de ce qu’est le peuple que Dieu nous appelle à être – un peuple lié par bien davantage qu’une langue, une culture ou des coutumes locales.
La CMM est un lieu où notre diversité culturelle nous enseigne ce que signifie suivre Jésus. C’est le lieu où nous pouvons le mieux répondre à la question : « Que signifie être un chrétien anabaptiste dans mon contexte culturel aujourd’hui ? », en découvrant comment on répond à cette question dans d’autres contextes culturels. Nous faisons ce voyage spirituel avec des personnes différentes de nous (cultures, pays, types d’anabaptistes etc.). La CMM est le lieu où nous sommes liés par nos convictions communes de chrétiens anabaptistes. Ensemble, nous sommes un petit peu de ciel sur la terre. Ensemble, nous sommes assez forts pour résister à la persécution et à la tentation.
Ensemble, avec tous les saints
Revenons au passage écrit par Paul aux chrétiens d’Éphèse, pas aux chrétiens juifs, mais aux chrétiens d’autres origines. Dans les chapitres 2 et 3, il leur rappelle qu’ils sont concitoyens du peuple de Dieu, membres à part entière de la famille de Dieu, et participants à la promesse en Jésus-Christ. C’était une idée nouvelle, extraordinaire, et controversée à l’époque, et elle continue à transformer notre compréhension de l’action de Dieu dans le monde d’aujourd’hui. Nous sommes tous membres à part entière de la famille de Dieu et participants à la promesse en Jésus-Christ, au-delà de toutes les différences qui nous divisent si facilement.
Dans Ép 3/14-21, Paul prie pour cette église. Il prie pour qu’elle comprenne l’immensité de l’amour de Dieu – la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Dieu. Et il prie pour que ses membres puissent la connaître « avec tous les saints ». J’aime cette petite phrase. Elle nous dit que nous ne pouvons pas vraiment connaître l’immensité de l’amour de Dieu sans tous les saints. C’est seulement dans le désordre de la différence (culturelle, linguistique, politique, théologique et économique) avec tous les saints, que nous pouvons commencer à saisir l’amour de Dieu. Il faut tout un village mondial pour commencer à comprendre l’immensité de l’amour de Dieu et pour être le peuple que Dieu nous appelle à être.
Arli Klassen est responsable du développement de la CMM.
Des anabaptistes du monde entier participent à la cène pendant la réunion du Conseil Général de la CMM en 2012, à Bâle (Suisse). Photo : Merle Good
Deux mennonites (Indonésie et Amérique du Nord). Pour les anabaptistes, la CMM est le lieu où un tel contact interculturel est possible. Photo : Merle Good
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